L’on lui reconnaissait son art de passer les mots sauf celui de danser. En tout cas, pour la plupart. Mais voilà la Béninoise Harmonie Byll Catarya à la tête d’une équipe de chorégraphes dansant sur ‘’Aicha’’. Il s’agit d’un morceau de sensibilisation sur les droits s€xuels et reproductifs, à en croire la slameuse dans sa récente intervention sur frisson radio. L’extrait rendu public ce 1er juin 2024 renseigne bien que l’artiste aborde les dérives s€xuelles des jeunes filles aveuglées par le goût du gain facile dont l’effet reste quand même éphémère. Mais comment danser sur un tel morceau sans choquer ni blesser l’éthique ? C’est là qu’apparaît le génie de l’artiste qui sait passer les mots douloureux sans avoir à passer une pommade.
Dans un style amusant, mais évocateur, Harmonie et ses deux autres danseurs racontent la mésaventure du personnage Aïcha en 40 secondes. La chorégraphie démarre par le refrain du single : « Aicha, doucement, il fallait t’occuper de tes études. Est-ce que tu vois ta vie ? Tu n’as plus personne ooo ! Aicha, doucement, Xwé nɛ bi ado bo zé wide jó bɔ̀ jabi lɛ́ dɔ gɔn to wé ! Mɛ́ towé lɛ́ kadɔ nu we ! (A ton jeune âge, tu as offert ton s€xe aux voyous et ils en ont abusé ! Tes parents t’avaient pourtant averti !) » Ce cri de cœur du chœur donne à lire en amont un léger et doux coup de pied envoyé dans le vide. Harmonie boute visiblement le comportement peint dans le morceau, celui de Aïcha, victime d’une gross€sse non désirée. À l’unisson, les trois danseurs n’ont pas manqué de génie pour accompagner le geste du pied. Bras droits et gauches onctueusement envoyés vers l’avant, l’un après l’autre en signe d’opposition, ils laissent facilement le lecteur intégrer leur imagination et comprendre le message véhiculé. En effet, il est difficile pour tout spectateur connaissant le Bénin de lire cette partie chorégraphique sans se rappeler la statue de l’illustre roi Béhanzin érigée à Abomey, la ville historique. « Il brandit le bras gauche tendu et levé comme pour dire » arrêtez-vous !! » », écrit Tripadvisor sur son site. Ici, Harmonie et ses deux autres danseurs demandent à Aicha d’arrêter, dans un style plus décontracté et loin de l’agressivité. Cela se comprend beaucoup plus lorsque l’on fait attention à la première portion du refrain qui, en réalité, est dite en un français à la source africaine. « Aicha doucement » pour un francophile pourrait être « attention, Aicha » ou encore « désolé, Aicha ».
Nous pouvons également compter sur nos trois chorégraphes pour parler s€xualité sans enfreindre à la pudeur, notamment lorsqu’on sait que les questions s€xuelles sont assez sensibles dans cet espace géographique, le Bénin. Pour donc danser sur la suite du refrain, « est-ce que tu vois ta vie ? les voyous ont abusé de ton s€xe ! », ils transforment leurs bras droits en des machettes prêtes à diviser chacun d’eux en deux morceaux, et ceci, par les hanches. Cela pourrait être perçu comme un message fort à l’endroit des jeunes filles indiquant que toute déviance s€xuelle peut conduire à une autodestruction et qu’il n’y aurait personne pour leur venir à l’aide en ce moment. Évidemment, sur la dernière partie du refrain, « tu n’as plus personne », les trois chorégraphes ont semblé chercher de l’aide sans en trouver ! Chacun d’eux tournera sur lui-même comme pour voir s’il existe peut-être encore une bouée de sauvetage à sa portée. Vaine expectative ! D’autant plus qu’une autre information du refrain accompagne le second tour des chorégraphes : « tes parents t’avaient pourtant averti ».
Mais cela n’enlève rien à l’ambiance amusante et festive de la chorégraphie qui se confirme mieux à partir de la 21ᵉ seconde : « Aujourd’hui, le tic pour l’éthique se tord sur TikTok
Et des plans Q se gèrent du tic au tac
Attention Jeune fille ! S€xe sans conscience n’est que ruine de l’âme
À défaut de t’abstenir, protège-toi quand tu vas à l’acte
Car le gars au gros s€xe adoré pourrait fuir la go à gross€sse mal planifiée. »
Exécutés sur un rythme traditionnel, ces vers sont accompagnés de la danse Agbadja par les deux autres danseurs. À y voir de près, cette danse de réjouissance des peuples éwé, vient corroborer le caractère amusant de la scène qui, quand même, part d’un constat triste pour inviter à une prise de conscience. Dire ces vers sur des pas traditionnels pourrait simplement être compris comme étant un plaidoyer à un retour aux valeurs. Car dans la culture éwé et africaine, l’abstinence s€xuelle avant le mariage est une règle d’or.
Pendant ce temps, Harmonie, elle, continue de tourner, mais cette fois-ci, sur des pas nouveaux, mixant les danses traditionnelles et celles modernes. Elle mobilise ainsi les attentions sur l’avant-dernier vers de cette chorégraphie qui reste du fait de la modernité : « À défaut de t’abstenir, protège-toi quand tu vas à l’acte ».
En attendant la sortie officielle du single Aicha ce 7 juin 2024, Harmonie et ses deux autres danseurs auront l’avantage d’avoir mieux situé les mélomanes à travers cette chorégraphie de 40 secondes.
Edouard GNANSOUNOU