
S’il faut l’identifier à un oiseau, on aura du mal à l’écarter de l’aigle : référence du courage – symbole des armées. Harmonie Byll Catarya est une slameuse qui se révèle par sa plume. Ses mots sont choisis avec soin et méthode. La beauté de ses textes se traduit par le rythme – la consonance qu’elle ne se force pas à donner à ses vers. « Ici, tout est étrange et même si tu es étranger, vite, tu t’y fais ». Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. « C’est au bout de l’expérience qu’on y arrive. J’ai déjà fait 10 ans de contact avec les mots. Je trouve même banale la manière dont les mots me viennent facilement », confiait-elle en juillet 2023. Sa plume s’apparente à son apparence. Taille et corps imposants, allure vigoureuse. « Elle a une plume viscérale !», s’exclame Maestro Mechac, l’un de ses compagnons de scène. D’aucuns n’hésitent pas à la comparer aux Agoodjiéé, les femmes de l’armée des guerrières du royaume de Danxomè dont la bravoure continue de résonner dans les esprits. « Harmonie est notre Agoodjiéé», confie la rappeuse Sadky Zozo Pia Pia. Comme l’aigle, Harmonie Byll Catarya est capable de fixer le soleil en abordant avec courage, les problématiques les plus virulentes de son époque. « Je slame sur l’homme et les valeurs car nous sommes dans une société où les valeurs tendent à s’étioler », explique-t-elle. Mieux, elle aborde les problématiques d’un monde dont beaucoup de ses compères souhaiteraient rester à l’écart : la politique. Un extrait de son morceau intitulé « Chez Moi » : « Chez moi, tout le monde crie liberté mais au fond, nous dépendons tous d’un homme dont la tête peut changer après un ou plusieurs mandats ». Une satire pour demander aux peuples d’ouvrir les yeux et de se poser les vraies questions sur le mode de la gouvernance de l’homme dont elle parle. « Aucun homme n’est libre avant sa mort », faisait-elle remarquer dans son texte intitulé « Faso, coup de fous ! ». Elle abordait ainsi la révolution insufflée par le mouvement dit Le Balais Citoyen ayant renversé le régime de Blaise Compaoré au pays des hommes intègres en 2015. Inspirée également par les évènements dont elle est témoin oculaire, la philosophie politique de Harmonie Byll Catarya est à rapprocher de celle de Jean Jacques Rousseau qui dans le préambule de son traité de philosophie politique écrit « L’homme est né libre et partout il est dans les fers ». Il faut « se libérer de ces fallacieuses énigmes dont il faudrait détenir la clé unique, presque magique », a prêché Harmonie Byll Catarya au Festival international de poésie urbaine (Slamouv) en avril 2023, dans son texte : « casser les codes ». « À chaque fois qu’elle me présente un texte, je lui dis : c’est ton meilleur texte. Et quand elle m’a présenté « casser les codes », j’ai dis waouh! Je n’ai jamais entendu de choses pareilles. Ça, c’est ton meilleur texte », confie Maestro Méchac. À travers « casser les codes » dit pour la première fois devant un parterre d’hommes et de femmes venus de divers continents, Harmonie Byll Catarya fait montre à nouveau du courage de l’aigle à fixer le soleil. Elle met le doigt accusateur sur les maux qui minent le monde et l’invite à un changement des données. « Je fais le SOS devant un monde écrasé, brisé, rompu, déstructuré; un monde où la couleur de peau est devenue une différence; un monde où l’argent est la seule référence; un monde où l’humanité perd de plus en plus, son sens ; un monde où l’injustice devient un fait banal […] Il faut tout remettre en cause », clame-t-elle. En clair, pour Harmonie Byll Catarya, toute loi n’est pas loi. Elle peut être déconstruite si elle est contraire à l’harmonie. Les révolutions contre les lois de ségrégation aux Etats Unis et en Afrique du Sud respectivement au cours des années 60 et 90 illustrent bien la posture de la slameuse. « Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi », écrivait Jean Jacques Rousseau dans son livre « Du contrat social » publié en 1762. Comme le philosophe contemporain, Harmonie Byll Catarya met le peuple au cœur de toute loi et suggère qu’il n’y ait point de raison de la déconstruire si elle émane de la volonté de ce dernier et aspire à son bien-être. « Il est des codes à ne point détourner ; le code civil, pacte de toute société ; le code de la vie, le droit à l’oubli, le droit d’être racheté », souligne-t-elle. En définitive, l’artiste porte au cœur de sa philosophie les notions de liberté et du respect du bien commun s’inscrivant dans la même dynamique que Jean Jacques Rousseau pour qui l’obéissance à la loi que le peuple lui-même s’est prescrit est liberté. Le texte » casser les codes » de Harmonie Byll Catarya a déjà fait le tour de plusieurs scènes laissant derrière, des hommes et femmes fondus en émotion. « J’avais oublié que j’étais journaliste », confesse Carlos Kitomè, vice-président de l’Association des Journalistes Culturels du Bénin, après la présentation du texte à l’Institut Français de Cotonou le 23 mars 2024 à l’occasion du spectacle dit Francophonie Poétique. « Ces vers s’adressent à nous tous », confie Aline. « Nous avons tous quelque part des codes tordus qui nous maintiennent dans des chaînes. Il faut qu’on les rompt un jour», suggère-t-elle.
Edouard GNANSOUNOU