Bénin Société

« Un monument qu’il sied de proposer à toutes les générations comme le miroir de nos devenirs possibles », Raphaël YEBOU au sujet de Jérôme Carlos

  • janvier 29, 2024
  • 10 min read
« Un monument qu’il sied de proposer à toutes les générations comme le miroir de nos devenirs possibles », Raphaël YEBOU au sujet de Jérôme Carlos

Le Directeur Adjoint de l’École Nationale des Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication de l’Université d’Abomey-Calavi, Raphaël Zomblewou YEBOU rend hommage à Jérôme Carlos. Dans son message d’hommage, l’universitaire rappelle les circonstances dans lesquelles il a connu Jérôme Carlos et révèle les qualités de ce dernier. Lisez plutôt.

Jérôme Carlos : un modèle de vie

L’épreuve de la mort est inscrite dans le destin de tous les hommes, mais Jérôme Carlos fait partie de ceux dont on n’aurait jamais souhaité la disparition si la possibilité était offerte de modifier ainsi le cours de la vie. Connu comme un journaliste talentueux, un chroniqueur de renom, un écrivain fécond, il est entré dans l’éternité, celui qui nous a séduits pendant plusieurs décennies par le timbre de sa voix, le style de sa vie, la qualité de son témoignage, son amour pour le Bénin, son combat pour l’Afrique, sa défense de l’humain. Historien de formation, homme de lettres et de culture, écrivain à la plume étincelante, Jérôme Carlos était un homme hors pair. C’est le Professeur Adrien Huannou, le baobab de la littérature béninoise, qui nous l’a fait découvrir dans les salles de cours du Département des Lettres Modernes à la Faculté des Lettres de l’Université d’Abomey-Calavi à travers les travaux variés qu’il proposait sur son premier roman Fleur du désert. Publié en 1990, Fleur du désert relate l’histoire des habitants d’une petite localité appelée « la plaine bienheureuse », réveillés un matin par une horde d’ennemis à leur porte. Commence pour eux un long exode au cours duquel ils se heurtent à de nombreux obstacles avant de s’installer, au bout du chemin, sur un plateau qu’ils appellent Nyassan, c’est-à–dire « le salut ». Le gouvernement de l’Eden National décide de faire de ce plateau un important centre touristique et le projet suscite un vif intérêt. Mais il devient objet de discorde entre les fils de Nyassan, les responsables politiques du pays et la Sainte Alliance des Femmes Libres en Pantalon et est vite abandonné par le même gouvernement qui proclame une nouvelle idéologie. Face à la misère sociale engendrée par la crise économique, Jésus, un séminariste, abandonne sa formation de prêtre et devient un propagandiste zélé de cette idéologie. Il meurt à la suite d’une catastrophe naturelle qui s’abat sur tout Nyassan : une inhalation de gaz à laquelle survivent seulement trois personnages : le vieux Kpékessy, un garçon Eko-So-Méka et une fille Tine-Kame. Les trois rescapés, transférés dans la capitale marianaise (capitale de l’ancienne métropole coloniale), deviennent objets de curiosité pour la communauté scientifique. Là, Kpékessy rejoint les ancêtres et se soustrait ainsi à la compromission entretenue par les Marianais assoiffés de guérisons miraculeuses. Eko-So-Méka, lui, devenu un psychiatre consciencieux et compétent, mais ne pouvant cependant pas intégrer la société marianaise, se dépigmente à cause du racisme dont il est victime et perd son identité. Quant à Tine-Kame, après ses études en agronomie, elle revient à l’Eden National où elle découvre une société gangrenée par le tribalisme et la corruption. A la suite d’une éruption volcanique, elle est momifiée en une statue de pierre. C’est probablement pour rendre perceptible le rôle de la femme moins explicite dans Fleur du désert, que Jérôme Carlos fait d’un personnage féminin l’héroïne de son second roman, Le Miroir. Cette œuvre publiée en 1994 présente un pays, le Tantangui, sous le gouvernement du Grand Timonier national. La dictature bat son plein avec l’abêtissement de la population. La révolte, d’abord souterraine puis diffuse, finit par prendre un visage humain. Elenda, une jeune étudiante de vingt-deux ans, prend la tête d’un mouvement de libération qui suscite beaucoup d’intérêt auprès du peuple. A la suite d’un soulèvement général, le « dieu de Tantangui » meurt, foudroyé par une crise cardiaque. Cette fin de dictature fait lever, sur le peuple, les beaux jours de la démocratie et du multipartisme, couronnés par l’organisation d’élections libres. Mais la belle fête des élections est brutalement interrompue par une fusillade qui entraîne de nombreux morts dont Elenda. Alors que le corps de la militante repose à la morgue de Borotrou, capitale de Tantangui, son esprit s’envole au pays des morts à la rencontre de Gbéhanzin. Les deux esprits évoquent les raisons des échecs des Africains « plus aptes à conserver qu’à innover, à sauvegarder qu’à promouvoir ». Alors qu’au pays des vivants, se déroulent les obsèques d’Elenda, le décor change subitement et Kwamé N’Krumah tient, au pays des morts, un long discours politique sur le destin de l’Afrique et la nécessité de son unité. Elenda, elle, reçoit du « Poète inconnu » (dont elle se souvient), une lettre dans laquelle celui-ci expose sa conception de la littérature et l’invite à une rencontre avec des amis. A ce rendez-vous, Elenda discute avec Mariama Bâ, Joachim Bohui Dali et Christopher Okigbo des contraintes qu’impose à l’écrivain africain une langue de création différente de celle de son peuple. Le lecteur se retrouve enfin au cimetière de Borotrou. Là, Elenda est célébrée comme un mythe par le peuple de Tantangui.Cette présentation fait apparaître à l’esprit l’actualité des deux œuvres dont la valeur historique, sociopolitique, culturelle et littéraire s’inscrit en lettres d’or dans l’historiographie africaine. Elle suggère également plusieurs pistes sur lesquelles la création littéraire de Carlos engage les peuples africains et les hommes qui en tiennent les rênes : la critique politique à travers la dénonciation du système colonial et des politiques africaines après les indépendances, la critique sociale orientée contre la corruption et le tribalisme, la libération sociale, politique et culturelle de l’homme noir, la question toujours actuelle de l’Unité africaine, mais aussi celles du développement culturel et artistique, de l’innovation dans la promotion de l’autre. Jérôme Carlos, né le 30 septembre 1944 à Porto-Novo, a mené une vie dont les épisodes invitent constamment à contempler la sainteté de Celui dont il ne semblait pas beaucoup parler, mais qui se révélait intensément à travers sa posture de maître-serviteur. De Celui-là, il semblait être très proche, avec Lui, il semblait avoir une complicité édifiante qui a sous-tendu la grandeur de sa simplicité, la force de son humilité. Dans l’exercice de son métier d’enseignant et sa fonction de journaliste, il était en permanence habité par le souci d’aider les autres à aller de l’avant, à se découvrir pour s’améliorer, s’amender pour grandir. Il riait ainsi avec ceux qui riaient, pleurait avec ceux qui, le cœur ravagé par l’angoisse, pleuraient, cherchait avec ceux qui cherchaient, réfléchissait avec ceux qui réfléchissaient. Autant sa vaste culture, ses décorations multiples et ses nombreux titres pouvaient susciter une réticence dans les mouvements de ceux qui étaient portés à l’approcher, autant son sens de l’humour, sa simplicité et sa douceur lui donnaient de rayonner comme une source d’expression originale d’humanisme tant sa parole était agréable, sa voix plaisante, son regard pétillant, son esprit vif, son allure engageante. Selon les circonstances, on sortait d’un entretien avec Carlos touché, transformé, égayé. Il pouvait donner un avis motivé sur plusieurs sujets dans maints domaines. Toute sa vie, me semble-t-il, sa vocation s’est concrétisée par ses efforts constants à former des cadres pour la République et pour le continent. Les nombreux témoignages diffusés dans la presse l’élèvent au rang d’une personnalité dotée de qualités rares : amabilité, serviabilité, dévouement en parfaite harmonie avec le sens élevé de la conscience professionnelle, l’honnêteté, la persévérance, l’excellence. Lors d’une enquête menée dans le cadre d’un travail de recherche, il m’avait fait l’honneur de me recevoir pour des entretiens à bâtons rompus le vendredi 9 juillet 1999 et le mardi 29 août 2000 dans l’enceinte de la radio privée CAPP FM (à Akpakpa-Cotonou) dont il était le Directeur général depuis sa création en 1997. A ces occasions, j’ai été frappé par sa disponibilité (alors qu’on le savait très sollicité, très occupé), sa patience, son ouverture d’esprit et sa pédagogie dignes d’un grand homme, porté par la pensée positive, concept qu’il a placé d’ailleurs au cœur du Centre Africain de la Pensée Positive (CAPP), centre qu’il a créé avec Thomas Boya, un autre personnage distingué de l’histoire du Bénin. Jérôme Carlos était le Directeur Général du CAPP présenté comme une école, un laboratoire, un espace d’échanges et de débats d’idées, un centre de diffusion de la pensée positive. Ce centre dispose d’un organe d’information, « Pour changer le Bénin… » publié en cahiers. Les entretiens animés dans le cadre des activités du CAPP ont donné lieu à des publications telles que : « Je veux mon changement » en 2007, « J’opère mon changement » en 2008 et « Je pense positif, ma vie change » en 2010, parus tous à Cotonou aux éditions Tunde. Cet axe majeur de la pensée de Jérôme Carlos indique clairement son souci d’agir sur le mental du Béninois, de l’Africain en l’éveillant en permanence au bien, au bien de tous. C’est à la poursuite de cette tâche qu’il nous invite, me semble-t-il, lui qui a toujours appelé au changement de comportement pour relever, par l’exemple, les défis qui sont les nôtres dans nos familles, nos services, nos communautés, notre pays, notre Afrique. Manifestement, Jérôme Carlos a un sens très élevé de l’amitié. Il est entré dans l’éternité le 15 janvier 2024, marquant de manière spéciale l’anniversaire de naissance de son ami, le Professeur Noureini Tidjani-Serpos. Toute sa vie est un programme d’enseignements qui doit faire l’objet de méditation profonde. Jérôme Carlos est un monument qu’il sied de proposer à toutes les générations comme le miroir de nos devenirs possibles dans un monde où nous devons nous distinguer pour des lendemains qui chantent.

Abomey-Calavi, le 25 janvier 2024

Raphaël Zomblewou YEBOU , Linguiste, directeur adjoint de l’École Nationale des Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication Université d’Abomey-Calavi

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Samuel HOUNDJO

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