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Au nord du Bénin, l’exercice du métier de journaliste se fait avec la peur au ventre. Avec la multiplication des attaques djihadistes dans le septentrion, les journalistes travaillent dans leurs rédactions sous la menace terroriste. Une situation qui ne favorise pas le travail bien fait des hommes des médias. Dans cet élément réalisé par notre confrère Loukoumane Worou Tchéhou de la Radio Sota FM à Malanville, des journalistes relatent leur quotidien et leurs vécus dans ce contexte particulier d’insécurité.
Avec plus d’une vingtaine d’attaques terroristes et une dizaine de soldats tués, selon les chiffres officiels, le Bénin, se trouve depuis près de deux ans sous la menace de groupes armés. Je suis Loukoumane Worou Tchehou, journaliste Rédacteur en Chef de Sota FM, basé à Malanville au Nord du Bénin, membre de l’Association Ekolab. Avec plus d’une vingtaine d’attaques terroristes et une dizaine de soldats tués, selon les chiffres officiels, le Bénin, se trouve depuis près de deux ans sous la menace de groupes armés. Ces groupes sévissent, pour la plupart dans le nord du pays, près des frontières avec le Burkina Faso et le Niger. Ce contexte de tension complique le travail aux journalistes dans la partie septentrionale du pays. En dehors des contraintes de la profession, mener une investigation dans la région, principalement dans les départements de l’Atacora et de l’Alibori expose le journaliste à d’autres risques plutôt nouveaux. Déjà exposés aux risques d’attaques terroristes ou d’enlèvement, les journalistes font l’objet d’interpellations dans des zones dites « militaires », certains sont soupçonnés d’« espionnage ou de complicité avec l’ennemi ».Climat de Peur Dans le Nord du Bénin, le métier de journaliste s’exerce, désormais, la peur au ventre. Au sein des rédactions, les attaques impactent sérieusement le travail des journalistes. Collecter des données sur le terrain devient risqué. « Nous enregistrons fréquemment des attaques terroristes dans notre zone ici dans l’Alibori mais, impossible d’en parler. C’est par mesure de prudence. Si un commissariat peut être attaqué aussi facilement par des groupes armés, je me demande à quoi va ressembler le siège d’une radio qui n’a même pas de vigile [agent de sécurité – NDLR] face à une attaque terroriste », fait observer Pierrette, journaliste à la radio Sota FM à Malanville. Pierrette ajoute que sa radio évite au maximum les sujets liés au terrorisme : « Nous ne voulons pas prendre le risque d’être pris pour cible par ces groupes ». A Kandi, chef-lieu du département de l’Alibori situé à environ 107 Km de Malanville, c’est le même état d’âme au sein des rédactions. A Kandi Fm, la radio communautaire de la ville, ou à Dialogue FM (radio privée commerciale), les journalistes appréhendent le traitement des questions relatives au terrorisme. « Nous craignons la réaction des autorités qui peuvent nous accuser de faire l’apologie de l’extrémisme violent. De l’autre côté, presque rien ne résiste aux groupes armés, même les commissariats sont attaqués. Et quoiqu’à Kandi, nous n’ayons pas enregistré une telle attaque, en revanche plusieurs personnes témoignent avoir entendu des coups de feu, en pleine ville dans la nuit du dimanche 23 au lundi 24 octobre 2022. Face à une telle montée de l’insécurité, pourrons-nous résister à une incursion terroriste à la radio ? C’est pourquoi nous évitons tout commentaire sur les groupes terroristes par peur de les provoquer », explique Falilou Radji, rédacteur en chef de Dialogue Fm. Pour Norbert Gounou, son homologue de Kandi Fm, il est « difficile d’avoir des informations relatives à la sécurité, car personne ne veut en parler ». « La plus grande difficulté, c’est la quasi-impossibilité pour les journalistes d’avoir de l’information quand il y a une attaque », ajoute Daniel N’kouei, journaliste résidant à Boukoumbé, dans le département de l’Atacora au nord-ouest du Bénin. A Nanto FM, les sujets liés à la religion et l’extrémisme violent sont devenus tabous, selon Emmanuel Kouagou. « Par exemple, nous avons besoin de donner la parole aux personnes averties pour faire la part des choses entre l’Islam et le Djihadisme ou le terrorisme, mais nous ne savons pas ce que cela pourrait nous coûter », illustre un autre interlocuteur dans la même région.
Le reporter et le cliché “d’espionnage”
La présence d’un reporter dans certaines localités provoque généralement des suspicions et est tout simplement assimilé à un acte d’espionnage. Et s’ensuivent des interpellations et des gardes-à-vues. Plusieurs journalistes ont vécu de telles situations alors qu’ils étaient en reportage dans la partie septentrionale du Bénin. C’est le cas de Flore Nobime et Olivier van Beemen dont les témoignages vous sont livrés en annexe de ce texte. Le cauchemar, puisqu’il n’y a pas un autre nom pour le désigner, vécu par ma consoeur Flore Nobime et mon confrère Olivier van Beemen n’est pas un cas isolé. Plusieurs autres reporters ont subi le même traitement de la part des agents de sécurité. Le cas d’Emilien David est encore frais dans les mémoires. Privé de sa liberté le dimanche 9 octobre 2022, le correspondant au Bénin de TV5 Monde a passé plusieurs heures à la Brigade Criminelle avant d’être relâché plus tard, après son audition le 10 octobre à la Cour de Répression des Infractions Economiques et de Terrorisme, (Criet). Avant lui, trois autres journalistes qui ont tenté d’enquêter sur la situation dans le nord ont été interpellés et placés en garde à vue assortie d’une saisie temporaire de leur matériel de travail.
Zones militaires : flou total
Pour la plupart des professionnels des médias exerçant dans le septentrion, il est difficile de connaître les limites des zones interdites d’accès aux reporters. En effet, il n’existe aucune indication ni communication officielle pour situer les professionnels des médias sur les zones dites rouges par l’armée. Mais selon des explications recueillies d’une source sécuritaire, la présence d’un civil sur les deux parcs animaliers du Bénin est systématiquement assimilée à de l’espionnage. « Les zones actuellement déclarées militaires sont les parcs W et Pendjari ainsi que les villages environnants », explique notre interlocuteur avant de poursuivre «la présence d’un journaliste à Pétchinga (un village situé dans la commune de Karimama – NDLR) ou à l’entrée de Porga (village frontalier avec le Burkina Faso – NDLR), c’est comme si ce dernier était en intelligence avec l’ennemi. Les seuls êtres humains qu’on peut rencontrer dans les parcs, sont considérés comme des terroristes. Si on trouve un journaliste dans les environs du parc, on peut le confondre à quelqu’un qui est en intelligence avec l’ennemi ». En définitive, si la menace terroriste est désormais une réalité indéniable au Bénin, notamment dans le nord du pays, la lutte menée contre l’ennemi impacte négativement l’activité des journalistes. La lutte contre le terrorisme, en procédant par l’intimidation des journalistes, a tendance à priver une partie de la population de son droit à l’information qui est un principe constitutionnel. Pourtant une collaboration intelligente entre les forces de défense et de sécurité et les professionnels pourrait s’avérer productive dans la lutte contre la menace terroriste qui se mue aussi en guerre d’informations. « Quand le réceptionniste vient m’annoncer, dans la soirée de ce 4 février 2022, que le commissaire de Tanguiéta veut me rencontrer, je suis à mille lieues de me douter qu’Olivier et moi venons de basculer dans un engrenage rocambolesque. Nous étions à Tanguiéta depuis deux jours pour travailler sur le terrain », raconte Flore Nobime. Des présences étrangères sont suspectées et suivies de près par les services de renseignement. « Des informations font état de notre (Flore et Olivier) présence dans un village de Tanongou nous dit-il (le commissaire), et il veut connaître le mobile de notre visite. Nous nous expliquons. Je lui dis que j’ai travaillé sur les relations entre African Parks et les communautés riveraines en 2019 et que l’article a intéressé Olivier qui, à son tour, a voulu toucher les choses du doigt. J’ajoute que je veux profiter de ma présence pour réaliser des articles sur la santé de la reproduction, l’accès à l’eau, et d’autres sujets. L’ambiance n’est pas tendue. Le commissaire est reparti avec ses éléments ».
Du terrain à la garde-à-vue, le témoignage de Flore Nobime
L’un des principaux témoins dans cette enquête, Flore Nobime membre de l’association Ekolab interpellée à Tanguieta en compagnie d’Olivier, raconte comment, de son lieu de reportage elle a traversé plusieurs communes pour se retrouver à Cotonou sous escorte policière :« Le lendemain matin, à 8h30, à peine sortie de ma chambre, je me retrouve nez à nez avec un officier de police judiciaire (OPJ). Il se présente et me dit qu’il a été instruit de recueillir ma déposition. Nom, prénoms, profession, raisons de notre présence dans l’Atacora ». « C’est une formalité », rassure l’officier. « Il n’a pas de stylo et je lui donne le mien. En quelques minutes, je réponds à ces questions et il quitte l’hôtel avec ma déposition ». Une vingtaine de minutes après, alors que j’explique à Olivier ce qui s’est passé, l’OPJ revient, cette fois flanqué du commissaire. « On doit reprendre l’audition »,
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