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Une poétesse noire ne peut-elle être traduite que par une femme noire?

  • mars 3, 2021
  • 5 min read
Une poétesse noire ne peut-elle être traduite que par une femme noire?

Il arrive souvent que des débats venant des Pays-Bas émergent, pour des raisons linguistiques, également en Flandre. Depuis fin février, une polémique fait ainsi rage autour de la traduction en néerlandais du texte de la poétesse afro-américaine, Amanda Gorman. Une traduction qui a été confiée à une femme blanche. 

Sa voix, on est désormais nombreux à la reconnaître: celle d’Amanda Gorman qui, grâce à son incroyable prestation lors de l’investiture de Joe Biden en janvier dernier, est aujourd’hui connue dans le monde entier. La jeune femme de 22 ans avait alors récité son poème, intitulé “The hill we climb”. Un texte très inspirant qui a marqué les esprits, et via lequel Amanda Gorman désirait avant tout faire passer un message d’espoir et d’unité.

Mais aux Pays-Bas, c’est la division que ce poème a fini par semer. En cause: le choix du traducteur pour la version néerlandophone de cette œuvre. La maison d’édition Meulenhoff a demandé à l’autrice Marieke Lucas Rijneveld de s’en charger. Mais ce choix est loin d’avoir plu à tout le monde.

Une écrivaine néerlandaise de renom

Marijke Rijneveld est pourtant considérée comme étant LA découverte littéraire de ces dernières années aux Pays-Bas. La jeune autrice a écrit deux romans à succès. L’un d’eux a même été le premier livre néerlandais à obtenir le prestigieux prix littéraire de l’International Booker. Marijke Rijneveld a également déjà publié deux recueils de poèmes.

Pour la maison d’édition Meulenhoff, elle constituait donc une candidate taillée sur mesure. Amanda Gorman et son équipe avaient d’ailleurs eux-mêmes donner leur accord.

“Trop blanche pour le poème d’une noire”


Aux yeux de certains, Marijke Rijneveld est cependant “trop blanche” pour pouvoir vivre ce texte avec empathie, et transcrire au mieux les émotions et l’expérience qu’il incarne.

L’une des premières critiques à ce sujet a été émise par la journaliste et activiste néerlandaise Janice Deul. Dans une tribune publiée par le Volkskrant, elle indique que cette traduction aurait dû être accordée à une artiste similaire à la créatrice d’origine, c’est-à-dire jeune, femme, et noire. Un profil qui existe certainement, mais qui reste selon elle trop souvent dans l’ombre. Sur les réseaux sociaux, la polémique a suscité de vives discussions.

Le débat s’est dans la foulée invité en Flandre, où le sujet a également fait couler beaucoup d’encre. Dans une opinion parue dans De Morgen, l’écrivain Mohamed Ouaamari dénonce notamment le fait qu’il n’y a aujourd’hui pas de place pour les plumes issues de l’immigration, et que le secteur littéraire reste encore et toujours aussi blanc que la cocaïne qui arrive à Anvers.

Une indignation à son tour critiquée


Ce qui est assez remarquable, c’est que cette controverse n’a pas vraiment confronté des opinions conservatrices à des opinions progressistes, mais bien différentes voix progressistes, avec d’un côté celles qui estiment que les blancs ne peuvent pas comprendre le vécu des noirs, et de l’autre celles qui trouvent ce raisonnement extrémiste et contreproductif.

Certains intellectuels du nord du pays ont qualifié les critiques d’activisme totalitaire, une discrimination sur base de la couleur de peau qui serait du racisme pur et simple. Beaucoup d’autres opinions abondent quant à elles dans le même sens: c’est la qualité du travail qui prime. Et exclure certains profils n’est pas une façon de créer la diversité nécessaire.

L’importance du métier de traducteur


En parlant de qualité du travail, on a également entendu des opinions très différentes de toutes les autres. Comme celle du traducteur attaché à la Chambre des représentants, Bert De Kerpel selon qui la vraie raison pour laquelle Marijke Reyneveld est un mauvais choix est tout simplement parce qu’elle n’est pas traductrice. Pour lui, le job doit être confié à un traducteur spécialiste de l’histoire américaine, fin connaisseur de poésie et avec une parfaite maîtrise de l’anglais – quelle que soit, donc, son sexe ou sa couleur de peau.

Le poète et traducteur Samuel Vriezen estime, lui, que “ce n’est pas le texte qui doit être traduit, mais bien l’auteur”. Et c’est là que la maison d’édition néerlandaise a, selon lui, commis une erreur.

Quelle que soit la nature de l’erreur, si elle peut être considérée comme telle, elle a été rectifiée, puisque face au tollé Marijke Reyneveld a décidé de renoncer à cette traduction. La maison d’édition Meulenhoff a quant à elle fait savoir qu’elle avait tiré des leçons et qu’elle cherchait désormais à former une équipe pour transcrire au mieux le message d’Amanda Gorman.

On notera que la version francophone, éditée par Fayard, ne sera pas réalisée par une traductrice, mais bien par une jeune artiste belgo-congolaise, puisque c’est la chanteuse Lous and the Yakuza qui a été choisie.

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